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ENTRETIEN. Anda Fournel, la traduction comme premier pas vers l’accueil des populations roms
Par Anouche Parsegian et Florent Blanc. Anda Fournel a rejoint l’Ecole de la paix il y a maintenant près d’un an, comme bénévole mais bientôt aussi comme future membre de l’équipe à l’occasion du lancement d’un nouveau projet. Nous lui avons donc posé quelques questions sur son métier d’interprète de langue roumaine qui l’amène à établir la communication entre les membres de la communauté rom d’origine roumaine présente dans l’agglomération grenobloise et les services publics. Elle nous parle de communication, de trait d’union mais aussi de rencontre et de l’espoir que les familles placent dans la scolarisation de leurs enfants.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes amenée à intervenir auprès de membres des communautés roms originaires de Roumanie présentes dans la région grenobloise?
Je travaille actuellement comme interprète en langue roumaine pour une association grenobloise qui propose des services aux publics migrants en termes d’accès aux droits. Cette association répond aux demandes de traduction de la part des services de l’Etat, des structures d’accueil, de santé mais aussi des services sociaux et de toute autre structure accueillant le public rom. Mon rôle en tant que traductrice consiste parfois à être un trait d’union pour établir un lien, un contact. L’objectif c’est de permettre la communication.
J’interviens donc auprès des bénéficiaires de langue roumaine à la demande de différentes structures directement. Quand j’ai commencé à travailler auprès des publics migrants en 2006, j’entendais très peu parler de Roms. Aujourd’hui, c’est dans les services sociaux que j’interviens le plus. Le plus souvent, les besoins de traduction en langue roumaine viennent d’acteurs dans le milieu du social et du médical. Dans la plupart des cas, le public auprès duquel j’interviens en tant qu’interprète vit des situations de grande précarité.
Dans quels contextes vos rencontres se déroulent-elles ?
Elles peuvent se dérouler dans des situations diverses : à l’hôpital, à l’école, avec les assistants sociales et scolaires, les psychologues scolaires, à l’hôtel de police, au tribunal – notamment auprès du juge pour enfants.
Par exemple, à l’hôpital c’est souvent dans deux situations – à la demande de l’hôpital ou à la demande d’une assistante sociale qui suit une famille rom. Mon rôle c’est d’expliquer la terminologie médicale pour rendre clair et compréhensible les termes du médecin auprès de la famille. Je m’assure que les personnes comprennent les personnels soignants et les actes qui vont être pratiqués mais aussi qu’ils puissent poser les questions nécessaires. Avant mon arrivée, médecins et patients essaient de communiquer en trouvant des langues communes, en utilisant des gestes. Quand je suis dans la pièce, la communication devient plus facile. Je vois
que les patients veulent poser des questions.
Dans les hôpitaux, la présence de l’interprète rassure dans des situations de douleur ou d’inquiétude. Parfois, l’interprète doit se faire explicitateur pour dénouer les nœuds dans la compréhension. Il faut aller au-delà des mots pour expliquer l’impact des cultures. Pour un médecin ou un professionnel, il est parfois surprenant d’entendre des questions qui peuvent sembler déplacées, mais qui font appel à des codes de vie en société de la communauté rom ou de leur pays d’origine. Un exemple? Le repas de midi. En Roumanie, on mange quand on a faim. L’idée de faire trois repas par jour à des heures fixes, en France, ne répond pas aux habitudes de la communauté rom dont les enfants mangent quand ils ont faim ou quand ils peuvent.
Il faut alors expliquer aux parents qu’un enfant rom qui mange à la cantine à midi pourra mieux suivre les cours de l’après-midi. Le repas de midi n’est pas une habitude ou un rituel social comme en France.
Les professionnels doivent comprendre. L’Autre interroge donc aussi leurs pratiques et leurs conceptions d’une manière naturelle. A l’école, les maitresses et les directrices s’étonnent de voir que les enfants roms utilisent plutôt leurs deuxièmes prénoms. Pourquoi? Parce que. C’est une pratique répandue. On n’impose pas l’usage du premier prénom comme premier et unique prénom de l’enfant. Mais ça ne concerne pas que les Roms, mais tous les enfants roumains. J’ai passé ma scolarité à être appelée par mon premier prénom à l’école et par mon second prénom à la maison. Je n’osais pas corriger les maitresses et du coup pendant huit ans, j’ai vécu avec un prénom différent.
Comment est-ce que les Roms que vous rencontrez perçoivent les instances et les professionnels?
En observant deux familles dont les enfants ont été placés par les services de l’aide à l’enfance, je vois une grande souffrance chez elles. Elles souffrent de voir qu’on leur explique qu’elles ne œuvrent peuvent pas s’occuper de leurs enfants. La séparation longue entre les parents et les enfants installent une incompréhension et parfois de la colère.
J’ai rencontré beaucoup de Roms qui font confiance parce que les professionnels sont bienveillants à leur égard et prennent le temps d’expliquer et de les accompagner dans leur compréhension. Surtout dans le contexte de l’école, les parents sont impressionnés par le travail des enseignants qui s’occupent de leurs enfants. Ils ont tendance à faire confiance: « faites comme vous pensez que c’est mieux ». Ils ne comprennent pas forcément tout ce qui va se passer pour leurs enfants. On voit qu’ils manquent de repères (ils ont peu ou pas du tout côtoyé le système scolaire en Roumanie, et ne comprennent pas encore le fonctionnement du système éducatif en France) et ne se sentent pas toujours associés à la démarche éducative. Je perçois chez eux une difficulté à être des
Ils ne sont pas forcément « acteurs » de la démarche d’éducation.
Mais à chaque situation sa particularité. C’est la communication qui fait tout. Il y a un apprentissage de la relation entre familles roms et école. Une directrice récemment m’expliquait que c’est la durée de la relation et la régularité des contacts qui créent un lien durable, une compréhension mutuelle et une implication croissante.
Comment permettre à ces parents de la communauté rom de pouvoir s’impliquer dans le parcours éducatif de leurs enfants?
Avant tout, ce qui m’a marquée dans les échanges que j’ai eus avec les familles roms c’est leur perception positive de l’école. Sans parfois l’avoir fréquentée eux-mêmes, les parents roms auxquels j’ai parlé projettent sur l’école leur espoir d’une vie meilleure que la leur pour leurs enfants.
Le point de départ, et en même temps la condition sine qua non du travail de collaboration entre l’école et les parents, c’est la confiance. C’est elle qui va permettre de poursuivre des objectifs éducatifs en commun. Dans le cadre du projet « Une école pour tous » que je piloterai avec l’Ecole de la paix à partir de septembre prochain, nous souhaitons mettre les différents acteurs (enseignants, parents, élèves) en lien, en réseau. Etre en confiance c’est être bien avec les autres. Nous faisons également le pari de l’implication qui doit permettre aux parents de se sentir concernés par tout ce qui se passe à l’école. Il s’agit de travailler sur l’engagement et le respect d’un contrat, par exemple, mais aussi sur la volonté de s’impliquer.
Les parents ont bien compris que l’école est une porte ouverte à l’insertion future de leurs enfants. Mais ils peuvent se sentir concernés aussi pour eux-mêmes, dans le rôle de parents qu’ils peuvent jouer, qui leur donne une légitimité. Nous souhaitons travailler également sur la dimension « communication » car si aujourd’hui celle-ci pose problème à cause de la barrière de la langue, elle reste la promesse des prochaines interactions au sein de l’école puis au sein de la société.